« Il faut s’intéresser, à la fois, aux humains et aux immeubles. »
Une rencontre avec Georges Lamm commence toujours par une visite photographique de Paris. Par ses réalisations et rénovations, il contribue, à son niveau, à faire de la capitale la plus belle ville du monde. Discussion avec un passionné, sur les immeubles… et sur ceux qui les occupent.
En cette période où les propriétaires tendent à rogner les coûts, est-il facile d’être architecte, c’est-à-dire le maître d’œuvre, le conseiller et donc l’interlocuteur de ceux qui vont dépenser ?
La période est en effet compliquée et nous sommes de plus en plus confrontés à des problèmes d’éthique et de prix. J’étais dernièrement à une conférence de la Fédération Nationale du Bâtiment où fut évoquée l’interdiction du chlorure de méthylène dans les décapants de façade, voilà un an ou deux. Des nouveaux produits sans cette substance sont apparus, mais d’après cette étude, ils restent dangereux… Certains sont non seulement toxiques mais aussi inflammables. Ce sont souvent les décapants les plus rapides et les plus actifs qui sont les plus dangereux et les moins chers ! Pour nous, maîtres d’œuvre, il n’est déjà pas facile de savoir, à partir des devis, quels produits seront utilisés. Pour ma part, j’utilise depuis plus de 15 ans un décapant reconnu, sur, neutre et sans danger. Par contre, ce décapant est un peu plus cher. Dans les appels d’offre auprès des ravaleurs, j’impose donc ce produit. Sans cette exigence, n’importe quel produit, éventuellement dangereux, serait utilisé pour des raisons de coûts et de facilité… Tout devient comme cela ! Aujourd’hui, comme les propriétaires cherchent à réduire les coûts, certains entrepreneurs peuvent aussi être tentés de mentir sur le produit utilisé. J’appelle cette attitude de la « sauvagerie » ! C’est très grave car elle détruit le respect, le lien social, la confiance, en d’autres mots : la démocratie. Je souhaite l’affirmer : un architecte doit non seulement obtenir un bon résultat mais il doit aussi veiller à ce que l’ensemble des opérations soit chiffré correctement et que ce chiffrage soit respecté. En plus, il faut la qualité et la sureté ! Ce n’est pas facile… c’est même difficile à faire accepter par les clients, qui souvent préfèrent le moins cher. Pour nous, architectes, il faut expliquer et surtout savoir ce qu’implique telle dépense. Il nous faut plus travailler afin d’obtenir les prix justes avec une qualité de travail juste.
Vous tenez là un discours de courage et d’honnêteté qui peut cependant conduire l’architecte à perdre des clients…
Forcément… Il faut du courage pour dire « non », si une demande est dangereuse, par exemple. C’est d’ailleurs la meilleure façon de respecter le client. Je préfère dire à une copropriété que je ne travaillerai pas pour elle car je ne pourrai garantir un travail juste. Je ne veux pas emmener les propriétaires dans un ratage, dans un guet-apens. J’aime trop les gens ! J’aime trop les immeubles ! Notre rôle est aussi de trouver l’énergie nécessaire pour expliquer et défendre notre point de vue auprès des clients. Il en faut, d’ailleurs, de l’énergie, car nous recevons plus de 100 courriels par jour auxquels il faut répondre ! Je suis peut-être vieux jeu, mais ce rôle d’explication est fondamental. Sinon, comment montrer que l’on a de l’intérêt pour les gens et les immeubles ? La base du métier d’architecte est l’éthique et la morale.
Se dirige-t-on vers une rénovation à deux vitesses, avec d’un côté des architectes sérieux et de l’autres des maîtres d’œuvre moins regardants ?
La tendance se renforce avec la crise, mais ce n’est pas nouveau… Il y a 25 ans, une importante résidence à Paris m’avait appelé pour le ravalement. J’avais alors remarqué le très mauvais état des balcons : de vraies passoires car le mortier avait été posé simplement sur du sable sous les carrelages… J’ai proposé de poser une résine d’étanchéité sous le carrelage… Le projet était beau mais les propriétaires l’ont trouvé trop cher. Ils ont choisi une autre entreprise qui a fait un vaste bricolage… J’ai été rappelé par le nouveau syndic voilà 7 ans et j’ai découvert que les balcons étaient dans un état pire qu’à l’époque ! Depuis, j’ai engagé un important programme de travaux dans cette résidence, analogue à ce que j’avais proposé il y a 25 ans. Je plains les pauvres propriétaires qui ont du finalement payer deux fois, une fois pour les travaux avec l’autre entreprise et une fois pour les miens. Le devis de la précédente entreprise était peut-être 20% moins cher… mais leur marge était surement supérieure. Moi, je serre les boulons des prestataires ! Pour répondre plus précisément à votre question, je crois qu’hélas, nous aurons toujours des travaux à deux vitesses, avec des gens qui se feront avoir. Il ne faut pas regarder que le prix. Il faut aussi regarder la quantité de travail. Il faut pouvoir expliquer cela et ce n’est pas facile. Et ce n’était déjà pas facile à l’époque, quand j’avais 25 ans de moins…
Sentez-vous les propriétaires réceptifs à vos explications ?
Oui et c’est dû à la conjonction de plusieurs éléments. D’abord Internet qui permet d’explorer tous les sujets. Cela attise la curiosité et les questionnements, souvent intelligents. Ensuite, il y a la crise qui incite à surveiller les dépenses. On veut dépenser de façon intelligente et raisonnée. Ces questions des copropriétaires sont des aides précieuses et peuvent m’inciter à modifier certains projets. Il faut accepter les arguments valables pour transformer les projets au mieux des intérêts de la copropriété… Il faut essayer d’être au plus juste pour trouver une solution ensemble. Il y a toujours des solutions.
Le rapport humain est vraiment au centre de votre travail…
Pour être architecte de copropriété, il faut s’intéresser, à la fois, aux humains et aux immeubles. Si vous n’aimez pas les humains, le métier devient vite compliqué. Si vous ne répondez pas aux 100 courriels que vous recevez par jour, vos interlocuteurs seront mécontents. Il faut les comprendre : il s’agit de leur immeuble. Ils sont inquiets et parfois angoissés. Ils y ont investi leur économie. C’est leur bien, leur argent, leur patrimoine ! Nous leur demandons encore de dépenser de l’argent. Il faut bien justifier cette demande. Il faut bien expliquer que nous voulons le bien de l’immeuble pour eux, qui y habitent ! L’architecte apporte un service. Il doit être au service des gens. Il faut donc tenir compte des gens et équilibrer les demandes avec les obligations techniques et architecturales tout autant que les possibilités financières. Ce n’est pas si facile et c’est pour cela que ce métier est passionnant.
Vous avez acquis une expertise technique très forte et utilisez même des techniques oubliées. Comment avez vous acquis cette maîtrise qui ne s’enseigne pourtant pas ?
Par curiosité et par envie de savoir… Ce n’est que par cet état d’esprit que l’on acquiert de nouvelles connaissances. Sur les rendez-vous de chantier, j’aime discuter, regarder, apprendre, voir ce qui a été fait précédemment. Les rencontres avec les artisans sont toujours enrichissantes. J’échange avec les ouvriers et avec leurs responsables. Il y a quelques mois, lors d’un rendez-vous de chantier, un des ravaleurs avait convié un nouveau fabricant d’enduit à la chaux qui prend très rapidement (en 4 ou 5 jours au lieu de 3 semaines). C’est intéressant d’un point de vue économique. Mais c’est aussi un produit très agréable à appliquer. J’ai discuté avec ce fabricant qui démarre. J’ai évoqué son choix de couleur, peu adapté à nos besoins. Ils chercheront à corriger ce point. Ce sont des relations enrichissantes qui se nouent au fur et à mesure. C’est la vie, tout simplement !
C’est une philosophie originale pour un architecte que l’on attendrait plutôt droite, mathématique, rectiligne…
Un chantier n’est jamais rectiligne, c’est plutôt une aventure. Il ne faut pas trop le dire aux clients, mais nous ne pouvons jamais être surs à 100%. Il y a une part d’incertitude, de doute, de problèmes, d’imprévus. Il faut y faire face et y répondre. Un chantier est toujours une prise de risque. C’est d’ailleurs parce que l’on a peur de se tromper mais que l’on ne veut pas d’erreurs que l’on fait très attention. L’angoisse fait partie du travail, comme pour un chef d’orchestre, un chanteur, un acteur. Il faut avoir le trac. Un comédien qui n’aurait pas le trac ne serait pas un bon comédien. C’est la même chose pour un architecte ! La peur est d’ailleurs un élément moteur pour l’être humain, pour éviter le ronronnement monotone et pour se remettre en cause. C’est ce qui rend la vie intéressante. J’aime les défis, d’ailleurs je m’impose chaque jour, au travail comme en vacances, « des Everest » à gravir: il s’agit de tâches à accomplir, de lieux à visiter, d’obligations à remplir. Il faut toujours se fixer des objectifs à atteindre si l’on veut progresser. C’est ma philosophie et c’est celle que j’aimerais transmettre à un jeune que je formerais pendant 10 ou 15 ans.
Cabinet Georges Lamm
Membre de la compagnie
des architectes de copropriété
10 employés
44, Rue Lamarck 75018 Paris
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